De retour sur les terres qui m’ont volé l’élue de mon cœur. Je ne peux me résoudre à y retourner. Deux ans que je n’y avais pas remis les pieds, évitant le pays du sang comme l’on fuit la peste et le choléra. Les effluves de sang m’embrouillent les sens avec des occurrences de bouffées. Le goût métallique du fluide ferrique écarlate tapisse le fond de ma gorge et laisse une impression acerbe, âpre. Comme-ci l’amertume de ma perte se retrouve dans les fragrances de l’air ambiant. L’odeur de la mort d’entremêle avec celle des flots rougeâtres, appelant ainsi au repos éternel. Je me revois, plus jeune, le sang de ma bien-aimée recouvrant la peau de mes mains ne se résignant pas à s’arrêter de vouloir retarder son dernier souffler. J’imagine la douleur surprise d’un canif transperçant vicieusement la chair de son abdomen et venant se loger dans ses profondes viscères. Je ressens sa plaie béante sur mon corps encore chaud essayant de resserrer mes paumes sur mon ventre pour réduire l’hémorragie. Je perçois le sang qui s’écoule en abondance de ses entrailles, faisant concurrence au fleuve du pays.
La faucheuse est l’habitante de ses lieux macabres et rôde prête à dégainer le tranchant de l’acier. Comme un pèlerinage, je me devais de venir ici et d’y exprimer ma peine. Le cœur serré, je me remémores le malheur pour oublier les regrets. Les chapitres du passé doivent être tournés et jetés dans les courants sanguins, même si rien que la pensée d’omettre m’arrache l’âme. Je serai maudit pour vouloir me débarrasser des souvenirs douloureux, damné pour les avoir délaissés. Les esprits errants se délectant des boissons vermeilles de cette contrée tâcheront de me hanter jusqu’aux frontières des cascades. Le spiritisme n’y fera rien. Seule ma culpabilité les alimentera et sera leur moteur dans cette impitoyable chasse à l’homme.
Je longe péniblement la mer rouge espérant regagner au plus tôt Kyōkoku et ma verdure natale. Mes pas deviennent de plus en plus lourds tandis que mon corps s’allège, comme si ma rancœur s’échappaient par la plante de mes pieds au fil. Un parcours monacale et salvateur. Tandis que les horizons verdoyants se dessinent au loin, je me sens suivi, épié. Un spectre, un esprit frappeur continuerait donc à me punir pour mon blasphème ? Comment combattre l’intangible ? Faudrait-il croire à l’existence de ce qui est invisible, qui n’a aucun fondement ? Moi qui suis médecin et à ce titre scientifique, devrais-je m’inquiéter de la sentence d’un supposé autre-monde qui ne s’est jusqu’alors jamais montré ?
Cette chasse à l’homme semble être réelle. J’entends le bruit des pas qui se veulent discrets frapper contre le dur sol rocailleux. Des sons réguliers, mais bas. Le fantôme animerait-il donc une enveloppe charnelle ? Que ferrait-il donc si loin de sa maison mère ? Mériterais-je donc un tel intérêt, un tel châtiment pour ce sacrilège et mon péché d’orgueil ? Quitter cette endroit sinué et chapardeur vaudrait mieux, j’accélère la cadence pour atteindre la lumière de ma nation et laisser les fouets avec lesquels je me flagelle derrière moi.
Dernière édition par Shinkū Hiro le Mer 5 Sep 2018 - 13:10, édité 1 fois